Eloge de l'énergie vagabonde

Publié le par Pierre Thiesset

IMG-copie-2.jpgSon vieux vélo avait déjà un tour du monde dans les roues. L'écrivain voyageur Sylvain Tesson l'a remonté pour dévaler les pistes d'Azerbaïdjan, de Géorgie, de Turquie. Longer les oléoducs sans propulsion motorisée, ça a quelque chose de subversif. Se déplacer « by fair means » à côté de ces « veines d'acier » qui fournissent le « sang de la modernité » à « des peuples jamais rassasiés », c'est entrer en dissidence.

« La piste est [l]a centrale électrique » du vagabond. Il compose avec les éléments, le vent, la chaleur. A côté de lui se déverse des tonnes d'or noir, alimentant les civilisations occidentales. L'homme doit bouger sans cesse. Mais il est de moins en moins foutu de se mouvoir par ses propres moyens, d'utiliser sa propre énergie. Il doit piller la terre, brûler des énergies fossiles pour alimenter les machines, ces prothèses qui travaillent pour lui. « Les villes clignotantes, rugissantes de circulation, vibrionnantes d'activités recrachent des enfants obèses, assommés de désirs, enfiévrés d'envies et dont le ressort énergétique sidéré de graisse s'éteint au fond d'eux. »

Derrière lui, des épaves, vestiges de la civisation du pétrole, rouillent lentement. La mer Caspienne et les lacs de la région pourrissent. On se dit écolo, on vote Europe écologie, on critique les pétroliers, et on roule en voiture. Plutôt qu'en finir avec la civilisation industrielle, on mène des guerres pour contrôler le liquide amniotique, automobilistes rattachés au cordon ombilical de la pompe à essence. On préférera affamer l'humanité pour remplir nos réservoirs d'agrocarburants, plutôt que de remettre en question notre orgie durable. Jouir, jusqu'au bout des embouteillages. « Pour que le monde poursuivre sa marche folle. »

Le mur est là, la décroissance est inévitable. Il est temps de se désaliéner de l'emprise des objets, de retrouver la simplicité. Le voyage, c'est un bon remède pour réapprendre à utiliser l'énergie qui est en nous, notre « inépuisable appétit de toujours découvrir quelque chose de nouveau ». Ralentir, se déplacer à vitesse humaine, avec sa vitalité comme moyen de transport. Son énergie de vivre. « La révolution n'est donc pas pour demain dans les rues insurgées, mais elle est permanente, en soi, ici et maintenant »

Sylvain Tesson, Eloge de l'énergie vagabonde, L'être humain recèle un gisement d'énergie inépuisable, Pocket, 2009.
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